04/11/2025 reseauinternational.net  7min #295308

Rdc : L'impossible stabilité dans l'est du pays

par Serge Savigny

Depuis trois décennies, les provinces orientales et du nord-est de la République démocratique du Congo demeurent le théâtre d'une violence endémique. Malgré le déploiement continu des casques bleus de l'ONU, cette région s'enlise dans un cycle perpétuel de confrontations armées opposant une multitude de groupes rebelles, qu'ils soient locaux ou originaires des nations limitrophes.

Selon le président Félix Tshisekedi, ce territoire qui représentait jadis le garde-manger du Zaïre s'est métamorphosé en un véritable calvaire pour ses populations au cours des vingt dernières années.

Pour la plupart des analystes, cette instabilité chronique puise ses racines dans la compétition acharnée pour l'exploitation des colossales richesses naturelles de la région. Cette bataille mobilise non seulement des acteurs nationaux, mais également des puissances régionales et internationales, pour des ressources dont le Centre d'études stratégiques et internationales américain évalue la valeur totale à 24 000 milliards de dollars.

D'après Al-Jazeera, pas moins de 120 à 140 formations armées locales  opèrent actuellement dans la zone. La situation se trouve encore davantage compliquée par l'activité de mouvements rebelles issus des pays frontaliers, notamment le Rwanda et l'Ouganda. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et les Forces démocratiques alliées (ADF) ougandaises y mènent leur lutte contre leurs gouvernements respectifs.

Parmi l'ensemble de ces groupes armés, le mouvement rebelle M23 (Mouvement du 23 mars) se distingue par son dynamisme. Initialement positionné comme le protecteur de la minorité tutsie en RDC, ce mouvement bénéficie depuis 2021, dans son affrontement avec Kinshasa, de l'appui du régime tutsi dirigé par le président Paul Kagame à Kigali.

Invoquant la nécessité de combattre les FDLR, mais principalement pour épauler le M23, le Rwanda a déployé de manière illicite une portion de ses forces armées en territoire congolais. L'année passée, un panel d'experts mandaté par l'ONU a documenté la présence de plus de 3000 militaires rwandais dans la province du Nord-Kivu, obtenant des éléments de preuve tangibles, notamment photographiques, attestant de leur engagement aux côtés du M23. Pourtant, Kigali refuse toujours de reconnaître officiellement ces faits avérés.

L'implication militaire rwandaise sur le sol congolais a, aux yeux de nombreux spécialistes, constitué un facteur déterminant dans le déclenchement d'une nouvelle phase d'opérations militaires du M23. Ces dernières années, le Rwanda s'est activement investi dans l'entraînement de ses combattants. L'apport de technologies de communication avancées, de moyens de renseignement et d'armements sophistiqués, incluant des drones, a substantiellement accru leur puissance militaire.

Cette situation a conduit à une rupture de l'accord de cessation des hostilités signé le 5 août 2024 entre la RDC et le Rwanda, dans le cadre du processus de Luanda initié en juillet 2022. Le 28 octobre 2024, les forces du M23 ont lancé une importante offensive dans les territoires orientaux, prenant le contrôle de Kalembe, localité stratégique du Nord-Kivu située dans une zone d'exploitation intensive d'or et d'étain.

Dans le même temps, les porte-paroles du mouvement ont affirmé que leur exclusion des pourparlers, exigée par Kinshasa, vidait de sa substance le processus de négociation. Ils ont qualifié l'accord de trêve de simple entente bilatérale entre la RDC et le Rwanda, qu'ils n'ont pas paraphée et dont ils ne se sentent donc nullement tenus.

Poursuivant leur avancée, les combattants du M23 ont infligé le 23 janvier dernier une cuisante défaite aux forces gouvernementales et se sont emparés de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Selon CNN, qui cite des sources onusiennes, outre la mort du gouverneur militaire provincial, l'armée congolaise aurait subi environ  3000 pertes lors des affrontements acharnés contre les rebelles. Durant ces opérations, des centaines de militaires des troupes régulières et de milices locales alliées à Kinshasa ont capitulé, tandis que des centaines de milliers de civils ont dû abandonner leurs habitations. Suite à la chute de la ville, des centaines de femmes ont été victimes de violences sexuelles perpétrées par les combattants pendant une semaine.

La prise de cette cité, véritable point d'accès aux zones riches en minerais où s'extraient l'or, l'étain et le coltan, démontre l'accroissement considérable des capacités militaires des rebelles du M23.

Après s'être emparés de Goma, les contingents du M23 se sont orientés vers Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu abritant une base aérienne militaire, dont ils ont pris possession le 16 février. Les observateurs soulignent que si les troupes gouvernementales avaient encore opposé une certaine résistance lors de la bataille de Goma, elles ont pratiquement abandonné Bukavu sans combattre.

En l'espace de moins d'un mois, le M23 est ainsi parvenu à contrôler les deux agglomérations les plus stratégiques de l'est congolais. Ses responsables proclament que leur objectif primordial consiste à défendre les Tutsis contre les discriminations du pouvoir congolais. Néanmoins, selon le quotidien britannique The Independent, ces actions  masquent en réalité la stratégie rwandaise visant à asseoir son emprise économique et politique sur une région regorgeant d'immenses gisements de minerais précieux.

Les succès spectaculaires des insurgés  s'expliquent, d'après le journal britannique The Guardian citant des experts de l'ONU, Human Rights Watch et Amnesty International, par le constat suivant : «Sans l'assistance du Rwanda, le M23 serait incapable de massacrer, violer et torturer le peuple congolais».

L'intensification des activités du M23 s'explique aussi par  sa consolidation en tant que force prépondérante dans l'est du pays au cours de l'année écoulée, prenant le contrôle des gisements de coltan de la région de Rubaya et prélevant, selon le média indien Business Standard, approximativement 800 000 dollars mensuels sous forme de prélèvement fiscal sur son extraction auprès des exploitants locaux.

Cette dynamique a également été facilitée par le récent regroupement des forces d'opposition congolaises au sein de l'Alliance du Fleuve Congo, coalition rassemblant 17 formations politiques et rebelles de diverses tendances opposées au gouvernement de Félix Tshisekedi, et menée depuis 2023 par Corneille Nangaa, ancien membre de son administration.

En sa qualité de président de la Commission électorale nationale indépendante, il avait orchestré l'organisation du scrutin présidentiel de 2018, qui avait porté Félix Tshisekedi au pouvoir malgré de multiples irrégularités. Pour avoir manipulé les résultats de cette élection, il a fait  l'objet de sanctions, comme l'a révélé le Christian Science Monitor aux États-Unis. Ultérieurement, accusé d'avoir acquis frauduleusement une concession minière, il s'est vu contraint à l'exil au Kenya.

Lorsqu'en 2024, l'Alliance pilotée par Corneille Nangaa, qui n'est pas d'ascendance tutsie, a incorporé le groupe M23, il l'a présenté comme un mouvement militant pour l'autonomie des régions orientales de la RDC.

Après la conquête de Goma, Corneille Nangaa  a déclaré dans un entretien accordé à Reuters : «Notre cible n'est ni Goma ni Bukavu, mais Kinshasa, l'origine de tous nos maux. Nous aspirons à refonder l'État», soulignant leur volonté d'instaurer leur propre gouvernance dans cette métropole de deux millions d'habitants conquise et de faciliter le retour des nombreux déplacés dans leurs foyers.

Ainsi, comme le souligne le Groupe international de crise, le M23 s'est transformé d'un groupe ethnique à prédominance tutsie pendant plus d'une décennie en une organisation se présentant comme une vaste coalition d'opposition, bénéficiant d'une «légitimité politique» conférée par l'Alliance du Fleuve Congo. Cette évolution sert parfaitement les ambitions de Kigali pour consolider ses positions dans les régions du nord-est de la RDC.

source :  Observateur Continental

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